Catherine Dorion, ou le droit de critiquer sans devoir être parfait
Publié le 9 juin 2019
Cette semaine, Catherine Dorion—députée de Québec Solidaire de Taschereau (centre-ville de Québec)—a soulevé un point important durant une session à l’Assemblée Nationale : les GAFAM soutirent des profits locaux, ce qui met à risque la survie des médias locaux. Elle demande ensuite aux membres du gouvernement quelles sont les solutions possibles.
Plutôt que d’entrer en dialogue et de rechercher des solutions, Nathalie Roy—l’actuelle ministre de la Culture et des Communications—renvoie à Mme Dorion une boutade comme quoi elle utilise les réseaux tels YouTube pour diffuser des messages, ce qui invaliderait donc son droit de critiquer.
Je connais seulement Mme Dorion à travers la lentille de l’émission satirique Infoman : j’en comprends qu’elle est une politicienne de gauche qui n’a pas langue dans sa poche, ce qui semble froisser le monde des communications plutôt axé à droite à Québec.
La réplique de Mme Roy—faut-il rappeler qu’elle est un membre du gouvernement—ne cherche nullement à offrir d’arguments défendant le travail que le gouvernement effectuerait, mais bien à taire la députée en lui remettant sous le nez ses incohérences. Plusieurs, même certains analystes de communications, semblent avoir été heureux de la réplique, comme si la critique Mme Dorion méritait de se faire remettre à sa place.
Pour tous ceux qui analysent les communications ou les médias, ce type d’argumentaire tombe dans la même catégorie que le tone policing : on cherche à noyer la question ou l’argumentaire de l’opposant en le décrédibilisant, en se préoccupant de la forme utilisée pour argumenter.
La jeune Greta Thunberg, une militante écologiste qui a livré une belle élocution à l’endroit des leaders du monde, qui a récemment été critiquée pour avoir utilisé des produits emballés en plastique, s’est fait servir la même sauce. En gros : « Tu n’es pas parfaite, tu n’as pas le droit de critiquer la société ! »
Je dois avouer que j’ai moi-même toujours été réticent à manifester pour des causes, puisque je voyais mes propes incohérences, et je ne me jugeais pas apte à critiquer des systèmes.
Cette stratégie est complètement illogique, et mettre la honte sur la personne qui offre une critique parce qu’elle évolue dans la société qu’elle critique, est complètement stupide.
J’oserais parier que si Mme Dorion vivait en autarcie, qu’elle n’utilisait aucune technologie et qu’elle critiquait le gouvernement de Mme Roy sur le même point, cette dernière aurait balayé du revers de la main la question, arguant que Mme Dorion ne pouvait critiquer ce qu’elle ne connaissait pas.
C’est ce qu’on appelle un lose-lose scenario.
La jeune Greta Thunberg utilise les produits qu’elle critique, et elle les critique parce qu’elle les connait et qu’elle comprend leur impact. Elle sait que par elle-même elle ne peut pas changer les industries, elle demande donc aux gouvernements de faire leur boulot : défendre les jeunes et leur offrir un futur.
Mme Dorion comprend très probablement l’impact des outils qu’elle utilise. Mme Roy lui répond qu’acheter chez les créateurs locaux serait un bon premier pas, et elle offre ensuite une liste de diffuseurs, par exemple TouTV, La Presse+, etc.
Toutefois, Mme Roy ne semble pas comprendre que les services de création de contenu qu’utilise Mme Dorion—YouTube, Instagram, podcasts, etc.—n’ont pas d’équivalents locaux ! Les services que Mme Roy mentionne diffusent du contenu, et espèrent un consommateur passif. L’internet actuel—et soyons honnêtes, depuis une bonne douzaine d’années—laisse les gens créer et diffuser leur propre contenu. Et c’est ce type de contenu et de visionnement qui est recherché et rentabilisé par les GAFAM.
S’abonner à TouTV ne permet à personne de s’enregistrer dans le bus pour se plaindre de sujet quelconque.
La question de Mme Dorion était valide, peu importe qu’on aime la façon dont elle critique nos habitudes ou même nos amis. J’inviterais les politiciens à ne pas chercher à reproduire des tweet fights dans la chambre de l’Assemblée Nationale, mais plutôt à trouver des solutions. Laissez les critiques être imparfaits, laissez-les même s’empêtrer dans leurs propres arguments, mais de grâce, ayez la présence d’esprit de voir l’essence de la critique.
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Mis à jour le 13 juillet 2020